LES CHOMOS, Inde, Lingshed Gompa (juillet 2008)

Publié le

Elles courent, elles chuchotent et rigolent, leurs yeux pétillent et leur timidité disparaît pour laisser place aux multiples questions une fois l’instituteur parti…Ce n’est pas un pensionnat, mais une nonnerie. La “Chomo Gompa” de Lingshed, dans le village du même nom, dans la vallée qui délimite le Zanskar du Ladakh…



 

La Gompa regroupe une vingtaine de nonnes de 10 à 40 ans, n’ayant pas d’acte de naissance, nous dirons légèrement plus…Les aînées accompagnent et éduquent les plus jeunes qui, toutes nouvelles, sont soit en retrait comme Dolma, soit des chipies comme Angmo !

 

Espiègles et joueuses, c’est quand même du sérieux, et le programme le prouve.


A tour de rôle deux nonnes organisent la journée…“Bang, bang”, le tambour annonce le réveil à 5 heures 50, petite douche, puis à 6 heures c’est la Puja (prière), les voix s’élèvent en coeur dans la salle pas si remplie que ça... Des filles dormiraient-elles encore ???

6 heures 30, petit-déjeuner, les petits bols en bois débordent de tsampa (farine d’orge grillé), qui mélangée au thé au beurre salé devient une pâte que les nonnes dégustent avec avidité jusqu’à s’en lécher les doigts !

Puis, temps libre pour méditer, étudier jusqu’à 10 heures ou, après un peu de thé et de tsampa, les cours commencent. Jusqu’à 13 heures c’est hindi, anglais et mathématiques. Puis repas de 13 à 14 heures et  retour en classe pour deux heures d’enseignement bouddhique, goûter avec devinez quoi … tsampa et thé salé, puis temps libre jusqu’au repas du soir à 20 heures, et dodo !

Pour les repas, pas de surprise, midi et soir c’est pareil : riz-lentilles, le plus fade du monde, et le soir tukpa, soupe locale composée de pain et de légumes, bien sûr tout ça agrémenté de thé au beurre salé !

Enfin, les “temps morts” sont généralement comblés par le travail aux champs, la  lessive du linge, les réparations et les visites au village, surtout faites le Dimanche, elles ne sont autorisées qu’une semaine sur deux.

 

 


Malgré les contraintes et la vie routinière, elles nous ont témoigné dès notre arrivée le jour du 6ème anniversaire de la nonnerie, une énergie débordante, une spontanéité touchante, et entre douceur et force, la conviction qu’être nonnes est ce qui pouvait leur arriver de mieux. “C’est une chance pour nous d’être ici, car nous pouvons suivre des cours” nous disent-elles.

Elles ont une terrible soif d’apprendre, qui semble même être le seul but de leur existence ; apprendre et transmettre. C’est pourquoi notre présence et nos échanges sont aussi pour elles un moyen de voir et de s’interroger sur le monde. Savent-elles vraiment comment l’on vit en Europe, et même en Inde ou au Tibet ? Leur éducation reste limitée et, à notre grand étonnement, quand Barbara leur demande où se trouve l’Inde sur une carte du monde, elles seront incapables de le montrer, et encore moins la France !!! C’est que l’Histoire et la Géographie ne font pas partie du programme…


 


Tous les jours la même histoire pour ces femmes aux allures de garçons, crâne rasé, bijoux, chants et danses interdits, la féminité réduite au maximum, si ce n’est leur voix on pourrait les confondre avec des moines.

Alors quels avantages pour ces “femmes” ? En Europe, cette vie monastique serait jugée difficile, mais ici le contexte est différent… Comme dans de nombreux pays du Sud, les traditions régissent le système social ; à moins d’être riche ou de vivre dans une grande ville, rares sont celles qui peuvent réellement décider de leur avenir. Au Ladakh, l’aînée de la famille devra se marier, avoir des enfants - six est une bonne moyenne -, s’occuper de la maison et travailler aux champs. Même si l’école publique est autant accessible pour les filles que pour les garçons, l’enseignement scolaire s’arrête là où la tradition familiale commence. La seconde sera nonne, et la troisième “l’esclave” de la famille qui s’occupera de ses parents vieillissants ; et pour les garçons même topo !

Tradition rurale qui permet aussi de réguler les propriétés et les relations sociales.


 


Alors pour les nonnes de Lingshed il n’y a pas de doutes, même si elles ne pourront jamais avoir d’enfants, “ce n’est pas grave, j’ai mes nièces et mes neveux, je préfère la vie de nonne, être marié c’est trop difficile !”, dit Tashi avec le sourire.
Pour Lobsang, être nonne est une certitude et un engagement : “je suis très heureuse et je pense qu’il faut être totalement dévouée aux principes pour l’être vraiment.”. Certainement la plus rigolote et extravertie du groupe, elle est très timide mais peut aussi être très dure envers les nonnes ou les lamas qui décident de se tourner vers une vie matrimoniale. Même si cela est un droit, rarement perçu comme un acte de courage et de sincérité, rompre ses voeux est souvent considéré comme une trahison, et incompris dans cercle religieux.


 

Elle sont persuadées que leur place est ici, pourtant elles n’ont pas réellement choisi cette vie…”Si, bien sûr mon père m’a demandé si je voulais être none.”. Mais décide t-on vraiment quand on n’a que 10 ans ?


Le plus important est de voir qu’elles sont véritablement heureuses, elles rayonnent vraiment, d’autant plus qu’elles "savent", la nonnerie leur offre des opportunités et une certaine liberté.


Assissent sous les arbres, Dolma et son amie nous confient que quelquefois elles sont tristes… ”J’aimerais apprendre plus, partir à Leh ou Dharamsala, j’adore apprendre et ici ce n’est pas assez !”.

Pour Nawang et Jongchup Wangmo, cette chance est arrivée. Comme les autres, Lingshed est leur village où se trouve leur famille, mais à 17 ans elles sont parties à Dharamsala, car l’oncle de Nawang y habitait. Dans leur nonnerie, la philosophie bouddhiste est au centre de leur enseignement, elles méditent et apprennent quotidiennement, et cela leur apporte “une énorme joie”. Elles ont pu venir à Lingshed pendant un an, en “vacances”, à condition qu’elles enseignent à l’école publique du village. Nous y sommes allées avec elles… Les élèves rentrent au pas en classe, sur le rythme du tambour, à même le sol, pas de chaises ni de tables, avec des niveaux très différents certains ont du mal à suivre, ils deviennent alors vite indisciplinés, chahutent et Nawang est vite submergée…

 



Une heure seulement avec eux et nous sommes épuisées, en classe supérieure, le respect et le calme sont beaucoup plus présents, ou alors c’est juste que les cours d’anglais sont plus
fun” que celui des mathématiques !

 

Nous avons découvert un monde de Femmes, avec leur sensibilité, timidité mais aussi leur force de caractère… Elles s’effacent sous l’autorité du moine enseignant, Tashi, qui malgré sa bonne volonté ne peut pas faire oublier qu’il est un “homme” et ne peut donc être le confident que ces femmes aimeraient avoir. ”Oui, ce serait plus facile si c’était une femme, on se sentirait plus à l'aise” nous dit Tsewang. “Pourquoi ce ne sont pas des nonnes qui enseignent aux nonnes ?”… Pas de réponse, juste un sourire. Le même sourire taquin qui témoigne que ces femmes ont su garder leur force d’esprit et s’amusent bien souvent de cette situation… L’anecdote s’est passée le premier jour de notre rencontre lors de la préparation de la cérémonie. Ayant déjà organisé tous les tapis et les places, Tashi s’amène et change tout ! Malgré le respect qu’elles ont pour le moine, on ne pouvait ignorer ces regards entre elles et nous, qui disaient tout simplement : ”On fait comme il dit si ça peut lui faire plaisir, mais notre agencement était tout aussi bien !”.

 

Les moines ont cet avantage d’être reconnus comme l’autorité suprême et, comme eux, les nonnes sont plus respectées qu’une personne lambda ; mais à la tête de chaque nonnerie c’est un chef Lama qui dirige et prend les décisions. Même si cela semble être parfaitement compris et accepté, c’est la petite goutte qui pourrait tout changer…

 


 


Comment les aider

 

  • En leur écrivant pour leur témoigner votre sympathie, leur envoyer des livres. Elles sont toujours heureuses d’échanger et d’apprendre ;
  • En passant à Lingshed, venez les rencontrer ; vous pouvez également ramener des fournitures scolaires, leur raconter des histoires, des anecdotes...



Et PARLER D’ELLES tout simplement !!!

 

Contacts

 

Lingshed Nunnery Welfare Society

c/o Lingshed Labrang. Opposite new bus stand, Leh

LADAKH 0194101

Box 151, (J&K State) INDIA.

 

Nous vous recommandons de vous renseigner auprès de Tashi Namgyal, enseignant à la nonnerie de Lingshed, pour toute information supplémentaire.

 

Tashi Namgyal (Shachukhl Gyaptser)

Student of C.I.B.S.

Choglomsar, Leh
LADAKH, (J&K Sate), INDIA

Publié dans Portraits de femmes

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